La prévision est difficile, surtout lorsqu'elle concerne l'avenir. (Pierre Dac)
La prévision est difficile, surtout lorsqu'elle concerne l'avenir. (Pierre Dac)
Notre humoriste national a bien raison et les ressources de la statistique n’aident pas à avoir une vision claire des déficits actuels et futurs des retraites : si l’identification de l’avenir est effectivement délicate dans la variété des scénarios proposés par le Conseil d’Orientation des Retraites, celle du présent l’est aussi.
Le COR, dont la mission est d’établir les bases d’un consensus, fournit des faisceaux de scénarios dessinant autant de futurs possibles et entre lesquels chacun choisit en fonction de ses préférences et options. Convenons que le consensus n’a pas été atteint.
Il ne l’a pas été non plus pour la connaissance du déficit actuel malgré le long débat qui a sévi ces derniers mois : la décision de repousser de deux ans l’âge de la retraite n’était pas consensuelle et il semble maintenant, Ô paradoxe, que cette décision était non seulement fondée, mais insuffisante.
Alors, y avait-il un déficit qu’il était urgent de corriger ?
Plusieurs sources et commentaires s’efforcent de répondre.
Un rapport officiel : « Evaluation des politiques de Sécurité sociale » jette une lumière - hélas bien obscure - sur cette question.
- En page 128 de l’annexe du rapport, on lit qu’en 2022 le déficit des Régimes obligatoires de retraite de base (ROBSS vieillesse) était de 3,8 Md€. Montant modeste pour justifier l’émotion que nous avons connue. Mais regardons ce qui se cache derrière ces « ROBSS vieillesse ».
- La page 21 du rapport confirme le déficit de 3,8 Md€ en 2022, dont 2,9 pour la CNAV. Dans la liste des régimes du « ROBSS vieillesse », le regard est attiré par deux d’entre eux, vierges de déficit en 2022 : les fonctionnaires et la SNCF. Voyons cela de plus près.
- La page 18 du rapport indique que la cotisation de l’Etat pour ses fonctionnaires est de 74,28% pour les civils et de 126% pour les militaires. Quant au régime de la SNCF, lui aussi « équilibré », il reçoit 1,9 Md € de cotisation pour 5,2 Md € de prestations.
- Résumons. Ces deux régimes sont donc « équilibrés » grâce, pour les fonctionnaires d’Etat, à une cotisation « employeur », plus de trois fois supérieure à celle des entreprises privées et, pour la SNCF, à une subvention d’équilibre versée par l’Etat de 3,2 Md € en 2022 et une compensation démographique inter-régimes de 81 millions. Voilà des « équilibres » qui coûtent cher aux contribuables.
Plusieurs articles de presse commentent la situation
- Stéphane Lauer (Le Monde) regrette que la contribution de l’Etat aux retraites de ses fonctionnaires n’apparaisse pas dans une caisse séparée, mais soit enfouie dans les comptes de l’Etat. Il aimerait plus de transparence pour que la population soit informée.
- Paul Chaulet (L’Express), critique la composition du COR qui, à ses yeux, a trop peu de membres suffisamment indépendants pour produire une vision objective de la situation, ce qui est pourtant la raison d’être du COR. Il souligne que si l’Etat-employeur cotisait comme les entreprises du privé, le déficit du régime des retraites serait « rouge carmin ».
- IFRAP Cette fondation déplore l’absence d’une véritable caisse de retraite pour les fonctionnaires d’Etat et estime que ce régime, à lui seul, serait responsable d’un déficit de plusieurs dizaines de milliards.
Pourquoi tant de mystère sur la réalité des coûts et de qui paye quoi ?
Convenons que la situation est complexe et c’est pourquoi nous préconisons depuis plus de 10 ans la mise en place d’un régime universel de retraite où chacun serait traité selon les mêmes règles, qu’il s’agisse de règles relatives à sa contribution, montant et durée de cotisation ou de règles relatives à la solidarité qu’il peut attendre de la collectivité nationale, réversion, compensation de la maladie, du chômage, des pénibilités…
Les tentatives pour établir un tel régime ont déjà achoppé deux fois devant les fortes réticences des défenseurs de certains régimes. En attendant qu’une troisième tentative se manifeste, il faudra continuer de jouer au poker menteur, chacun sachant ce qu’il en est, mais déployant tous ses efforts, y compris le pistolet sur la table, pour le nier.
Christian Bourreau